Page:Tinayre - Gérard et Delphine - La Porte rouge.pdf/39

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pourrait être grand’mère !… Ah ! Ah ! comme était ma mère à mon âge.

Elle fermait à demi ses yeux bruns aux coins tirés vers les tempes, un peu chèvre, un peu chinois. Et ces grands yeux drôlement plissés, les fortes pommettes, le nez court aux narines battantes, donnaient à la belle femme de quarante ans un air de bacchante un peu ivre, tandis que son rire qui mourait en notes basses, comme épuisé d’un secret plaisir, excitait les sens des hommes. La Marion, élevant sa chandelle, précéda Gérard dans l’escalier. Son ombre massive s’agitait sur le mur peint en ocre sale. Cette forte Vendéenne, taillée comme une poupée de bois, embarrassée de ses bras et de ses jambes, montait si pesamment qu’elle en ébranlait les marches. Au bruit de ses pas, une porte, sur le palier de l’entresol, s’entrouvrit. Un visage blafard, aux yeux fanés et cernés, se profila dans l’entre-bâillement et disparut. La porte se referma. Gérard n’avait pas eu le temps de saluer Mlle Pruvot.

Il l’avait vue souvent, à sa fenêtre, et plus rarement, de près, et il avait remarqué l’espèce de beauté manquée de cette fille infirme, — manquée somme ces pièces de porcelaine précieuse que le fabricant doit mettre au rebut. C’étaient les traits les plus fins, dans la bouffissure d’une chair exsangue, des cheveux pauvres, blond filasse, et l’intelligence la plus vive aiguisant les yeux d’un cris décoloré. Mlle Pruvot était toujours bien vêtue, avec une coquetterie qui faisait pitié. Coquetterie