Page:Tinayre - Gérard et Delphine - La Porte rouge.pdf/46

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tant la famille royale, M. Necker, le duc d’Orléans. On se pressait pour feuilleter les brochures nouvelles à la librairie Louvet ; on se pressait au Cabinet de physique de Pelletier, aux Fantoches ; chez les restaurateurs, dans les cafés, dans les clubs, aux portes du Théâtre de Beaujolais. Dans ce flot sans cesse renouvelé, que d’éléments disparates ! Le procureur y rencontrait son clerc, le négociant son commis. Le poète y coudoyait le joueur. L’usurier y cherchait ses proies et l’escroc ses dupes. L’aventurier et la courtisane s’y reconnaissaient de même race. Épaves livrées au torrent, paraissaient çà et là ces figures sans nom et sans âge qui font peur ou pitié : ces têtes de chimériques aux yeux enfantins, aux tempes creusées, aux joues rayées de longues rides ; ces masques ravagés par la maladie et la misère, où s’esquissent les traits de l’animal caché dans l’homme, tigre, chacal ou serpent prêt à surgir. Et ces femmes, toutes ces femmes, avec leurs chapeaux extravagants, leurs bonnets de gaze, leurs fichus bouffants, leurs pierrots à basque, en soie rayée, leurs jupes formant une proéminence sur les reins. Deux à deux, elles bousculaient les passants, riant très haut, répondant aux quolibets et d’autres, assises sur des chaises, dans le jardin feignaient une timidité mélancolique, pour mieux aguicher les provinciaux romanesques et les débutants de l’amour.

Aussi nombreux que ces femmes, étaient les marchands de paroles, les plumitifs affamés.