Page:Tinayre - L Ombre de l amour.djvu/27

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un ton ferme et calme ; mais laissons cela, Fortunade… Je ne peux pas expliquer des choses qui te troubleraient inutilement : car tu ne me comprendrais pas… Et moi, je te comprends très bien.

— Vous n’êtes pas fâchée, mademoiselle ?

— Non, mon enfant, pas du tout.

Quelques gouttes de pluie s’écrasèrent contre les vitres. Le poêle ronflait. La lampe sifflait, en brûlant… Et toujours la grande rumeur, si triste, des cascades…

Fortunade rêvait… Son rêve allait vers le couvent de Tulle, les tilleuls du jardinet, les classes pleines de petites filles bleues, la chapelle peinte et fleurie où Jésus, en robe de pourpre, offre à l’amour des vierges son cœur nu, son cœur sanglant. Il allait vers un hôpital inconnu, royaume de douleur et de pitié, vers le silence des salles blanches, vers les râles des agonies et les sourires des guérisons… Mais le rêve de mademoiselle Cayrol s’attachait au foyer, au village, à ce petit coin du monde qui contenait, en raccourci, toutes les passions et tous les maux humains ; il s’attachait aux souvenirs de famille, aux meubles et aux murs de la maison, au père vieillissant, à tout ce qui était le devoir quotidien et sûr, la réalité la plus proche…

Le grelot d’une bicyclette tinta sur la route. Denise tressaillit :

— Enfin, dit-elle, voici mon père !

La servante Françounette était sortie déjà, pour