Page:Tinayre - L Ombre de l amour.djvu/32

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tanément, quand il pensait aux gens et aux choses du pays. Fils de fermiers, il était resté proche de la terre, et ses manières mêmes gardaient une franchise rustique. Il y avait deux hommes en lui : — l’homme de pensée et d’action, curieux de toutes les idées, et qui se considérait comme un éducateur, l’homme qui avait suivi les conférences de Pierre Lafitte au Collège de France, qui avait le buste de Comte dans son cabinet de travail, et qui, du fond de la Corrèze, s’intéressait à tout l’immense mouvement scientifique et social de son époque, — et puis l’homme particulier, simple et même un peu vulgaire par certains goûts, parcimonieux de centimes et prodigue de pièces d’or, rempli de méfiance paysanne, prompt à la colère, grand mangeur, grand buveur, grand chasseur, épris des gros souliers, des habits solides et des pipes courtes.

Mais cet homme qui possédait les plus splendides qualités de l’homme, ce Français de vieille race, portait en lui la cause même de ses insuccès : une puissance d’illusion qui supprimait parfois le sens des réalités. L’idéologue neutralisait l’admirable effort de l’homme d’action en l’abusant sur la valeur des êtres, sur la portée des doctrines, sur les conséquences de telle ou telle décision. Le souci d’être « logique » avait entraîné Cayrol à des démarches dangereuses. Il n’avait pas su ménager les susceptibilités de la clientèle bourgeoise de petite ville… Après bien des déceptions, il s’était