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POSSESSION




À Jules Jouy.


De sa fenêtre, Jacques la regardait trottiner, rapide, sans détourner la tête, dans la petite rue où s’abritait leur premier rendez-vous. Une tristesse subite envahissait le jeune homme. Pourtant, la chambre d’hôtel sombre et nue avait perdu de sa banalité. Des parfums très grisants fleuraient dans les vieilles tentures fanées et les baisers de la femme aimée chantaient encore au fond de l’alcôve, au-dessus des draps en désordre.

Il n’avait jamais cru qu’elle voulût se donner. Timidement il l’avait, des années, enveloppée d’une tendresse discrète, lentement pénétrante. Et, sans s’apercevoir que son amour s’infiltrait goutte à goutte dans ce cœur de puritaine fidèle à ses devoirs, il lui avait voué, comme à une madone en sa châsse, une adoration grave et respectueuse.

Un soir, il la trouva seule, tout en larmes. Son mari la trompait si indignement que sa chasteté d’honnête femme outragée n’avait plus de pardon pour l’époux. Sa vie calme et droite à jamais brisée, une grande rancœur lui était venue en l’âme d’avoir, dédaigneuse du bonheur que Jacques lui offrait, gaspillé les trésors de sa jeunesse dans la couche d’un misérable. À ce déchirement de sa félicité passée, une envie puissante la hantait de se tailler un bonheur nouveau, à côté de l’autre, dans la tendresse de ce beau garçon qu’elle aimait depuis si longtemps à son insu. Et comme elle se résolvait à être enfin à lui, voici qu’une pieuse estime avait peu à peu remplacé en Jacques l’ancienne passion. Il ne conservait de cette idylle déflorée qu’un souvenir très doux, sans remords, sans désirs.