Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/171

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adopté. Ce plan avait un caractère audacieux et grandiose qui frappa l’imagination des contemporains, et qui mérite l’attention de la postérité. M. de Cessart imagina de former la digne de quatre-vingt-dix rochers artificiels, espèces de montagnes régulièrement taillées à mains d’hommes, dont toutes les bases se touchaient au fond de l’eau et dont les sommets excédaient, sa surface de plusieurs pieds. De cette manière, l’intérieur de la rade eût été abrité sans être fermé, ce qui l’eût rendue tenable tout en évitant le danger que courent toutes les rades fermées, celui de s’ensabler.

Quant à la manière de former ces espèces de montagnes sous-marines, M. de Cessart entreprit de créer chacune d’elles d’un seul coup en coulant des pierres dans une sorte de moule en bois qu’on devait d’abord construire à terre, et qu’on irait ensuite déposer en mer aux endroits qui seraient choisis. M. de Cessart donna à cette caisse la forme d’un cône tronqué. Le lecteur pourrait se faire une idée fort exacte de cette singulière machine en se représentant l’une de ces cages à claires-voies qu’on rencontre dans nos basses-cours, et qui servent tout à la fois de prison à la poule et de refuge à la couvée. Mais qu’il juge de l’immensité de cette cage à poulets de nouvelle espèce, en apprenant que chacun des quatre-vingt-dix montants qui en composaient la carcasse était à peu de chose près aussi haut que la colonne de la place Vendôme, ayant cent vingt-quatre pieds de longueur ; que l’espace qu’elle couvrait à sa base mesurait dix-sept mille deux cent cinq pieds carrés ou un demi-arpent ; que vingt-quatre mille pieds cubes de bois devaient être employés à sa construction ; qu’elle devait contenir deux mille sept cents toises cubes de pierres, et peser, après avoir été remplie, près de cent millions de livres.

Construire cet appareil à terre paraissait encore aisé, mais ce qui semblait excéder les forces humaines était de mettre une pareille masse en mouvement, de la tenir en équilibre lorsqu’elle serait en marche, de la transporter à une lieue en