Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/260

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130 millions ; c’est à peu près le quart du capital représenté par toutes les propriétés rurales de ces deux îles[1]. L’intérêt de l’argent est à 16 pour 100 environ[2].

Avant de retirer au colon le travail forcé de ses esclaves, il est prudent de le mettre en état d’acheter le travail libre des ouvriers.

Votre Commission a pensé que ces considérations seraient suffisantes pour déterminer la Chambre à la dépense qui sera nécessaire.

La France, messieurs, ne veut pas détruire l’esclavage pour avoir la douleur de voir les blancs ruinés quitter le sol des colonies, et les noirs retomber dans la barbarie. Elle n’entend pas seulement donner la liberté à des hommes qui en sont privés, mais constituer des sociétés civilisées, industrieuses et paisibles. Elle ne refusera pas à son gouvernement les moyens d’y parvenir.

La France n’oubliera point qu’il s’agit ici de la liberté, du bonheur, de la vie de trois cent mille de nos semblables, qui tous parlent notre langue, obéissent à nos lois et tournent en ce moment vers nous leurs regards, comme vers leurs libérateurs ou leurs pères. Si la France croit que le moment est arrivé de régénérer et de sauver ces sociétés lointaines qui sont son ouvrage et dont elle a exposé l’avenir en introduisant dans leur sein la servitude, elle ne jugera pas qu’il convienne au rang qu’elle occupe dans le monde, de compromettre le succès d’une si glorieuse et si sainte entreprise par économie.

La Commission, d’ailleurs, a pensé que l'émancipation pouvait être conduite de telle manière et accompagnée de telle mesure, que le trésor ne fût appelé à faire qu’une avance, et que la nation pût se couvrir, par le produit du travail des affranchis, d’une portion des frais que l’émancipation aurait amenés. Ceci sera expliqué plus loin. La Commission, messieurs, a donc été d’avis unanime qu’on devait

  1. La valeur des terres à la Martinique est évaluée à 330,385,450 fr. ; la valeur des terres de la Guadeloupe à 268,371,925 fr. Voyez Documents statistiques publiés par le ministre de la marine.
  2. La Commission a reconnu que cette situation fâcheuse était due en partie à ce que, dans les colonies des Antilles, l’expropriation forcée n’existait pas, et elle a accueilli avec reconnaissance l’assurance que lui ont donnée MM. les ministres qu’à la session de 1840 un projet de loi avant pour objet d’introduire la saisie immobilière dans nos Antilles, serait présenté en temps utile.