Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/292

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

^mœurs, obéissent à nos lois. L’une de ces îles, la Guadeloupe, a le meilleur port de commerce ; l’autre, la Martinique, possède le plus grand, le plus sûr et le plus beau port militaire des Antilles. Ces deux îles forment comme deux citadelles d’où la France observe au loin ce qui se passe dans ces parages, que de si grandes destinées attendent, et se tient prête à y jouer le rôle que lui indiqueront son intérêt ou sa grandeur. Pourrait-il être question d’abandonner ou, ce qui revient au même, de laisser prendre des positions semblables ? Resteront-elles plus longtemps ouvertes au premier adversaire ? Il n’y a pas assurément un seul parti en France qui puisse supporter une pareille idée, et l’opposition surtout, qui réclame sans cesse et à grands cris contre l’oubli que nous semblons faire de notre force et de notre dignité, ne saurait l’admettre. Que dit-on tous les jours pour calmer la légitime impatience qu’éprouve le pays en voyant l’attitude réservée, ou, pour parler le langage officiel, l’attitude modeste de sa politique ?

On dit que l’époque que nous traversons, époque consacrée à l’acquisition nécessaire de la richesse, n’est pas propre aux entreprises lointaines, qu’elle se refuse à l’exécution de vastes desseins. Soit ; mais si, en effet, la fatigue de la nation, ou plutôt les intérêts et la pusillanimité de ceux qui la gouvernent nous condamnent à rester en dehors du grand théâtre des affaires humaines, conservons du moins les moyens d’y remonter et d’y reprendre notre rôle, dès que les circonstances deviendront favorables. Ne faisons pas usage de nos forces, j’y consens ; mais ne les perdons pas. Et si nous n’acquérons pas au loin les positions nouvelles qui nous permettraient de prendre facilement une part principale dans les événements qui s’approchent, tâchons du moins de conserver celles que nous avons prudemment acquises.

S’il est prouvé jusqu’à l’évidence que, tant que l’esclavage ne sera pas aboli dans nos colonies, nos colonies ne nous appartiendront pour ainsi dire pas ; que, jusque-là, nous n’en aurons que les charges, tandis que les avantages passeront en d’autres mains le jour où il s’agira d’en user, ayons le courage d’abolir l’esclavage ; le résultat vaut bien l’effort.

Les nations, d’ailleurs, ne montrent pas impunément de l’indifférence pour les idées et les sentiments qui les ont longtemps caractérisées parmi les peuples, et à l’aide desquels elles ont remué le