Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/297

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ne fit pas passer immédiatement les nègres de la servitude à l’indépendance : il créa un état intermédiaire sous le nom d’apprentissage. Durant cette période préparatoire, les noirs continuaient de travailler gratuitement pour leurs anciens maîtres ; seulement, le travail non rétribué qu’on pouvait encore exiger d’eux était limité à un certain nombre d’heures par semaine. Le reste de leur temps leur appartenait. C’était encore là, à vrai dire, l’esclavage sous un autre nom ; mais c’était un esclavage temporaire. Au bout de sept ans, cette dernière trace de la servitude devait disparaître.

L’apprentissage avait pour but d’essayer, en quelque sorte, l’effet que produirait l’indépendance sur les noirs, et de les préparer à la supporter. Il était surtout aux yeux du gouvernement anglais un moyen de réduire le chiffre de l’indemnité due par la métropole aux colons. En laissant à ceux-ci, pendant quelques années de plus, le travail gratuit de leurs anciens esclaves, on pouvait leur donner moins en argent.

Cette indemnité fut fixée moyennant un chiffre de 1,400 francs par tête d’esclave, quel que fût son âge ou son sexe. La moitié, à peu près fut immédiatement payée en argent ; le reste devait être représenté par le travail gratuit des nègres pendant sept ans. On eut soin, de plus, de maintenir très-élevés les tarifs qui fermaient le marché anglais aux sucres étrangers, afin que, pendant la crise qui allait avoir lieu, les colons fussent du moins assurés de vendre avec profit leurs marchandises.

Ainsi, abolition générale et simultanée de l’esclavage ; état intermédiaire et préparatoire placé entre la fin de la servitude et le commencement de l’indépendance ; indemnité préalable ; garantie d’un prix rémunérateur de la production des sucres, tel est, dans ses traits généraux et en laissant de côté les détails, le système anglais. Nous allons voir ses résultats.

Il n’y a peut-être jamais eu dans le monde d’événement qui ait fait autant écrire et parler que l’émancipation anglaise. Les Anglais, les étrangers eux-mêmes, ont publié à cette occasion une multitude de livres, de brochures, d’articles, de sermons, de rapports officiels, d’enquêtes ; ce sujet est revenu cent fois depuis dix ans dans les discussions du Parlement britannique ; ces documents suffisent pour remplir seuls une grande bibliothèque ! On est d’abord surpris et presque effrayé eu les lisant de voir de quelle façon diverse