Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/351

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L’État doit-il donc à des criminels une garantie d’existence plus grande que celle qu’il accorde à ses soldats ? L’emprisonnement individuel de Philadelphie, qui n’a point été fatal à la vie des condamnés, paraît avoir eu, dans quelques circonstances, il faut le reconnaître, une influence fâcheuse sur leur raison.

En 1858, quatorze cas de surexcitation mentale ou de folie ont été constatés dans la prison (la population était de trois cent quatre-vingt-sept détenus) ; en 1859, le nombre des cas a été de vingt-six (la population étant de quatre cent vingt-cinq). Sur ce nombre, les inspecteurs du pénitencier, nommés par la législature de Pensylvanie, constatent que huit sont relatifs à des détenus dont les facultés intellectuelles étaient plus ou moins altérées avant d’entrer en prison[1] ’, et quinze se l’apportent à des condamnés qui n’avaient été sujets qu’à une irritation momentanée, calmée par un traitement de quelques jours, ou au plus de quelques mois. En 1840, il y a eu dix ou douze cas d’hallucination. Parmi les détenus atteints de cette maladie, deux étaient fous avant d’entrer en prison, presque tous les autres ont été guéris à l’aide d’un traitement qui a duré de deux à trente-deux jours. y a donc eu à Philadelphie un certain nombre de surexcitations mentales, qui, s’étant manifesté dans la prison, peut[2] être attribué au régime qui y est en vigueur.

  1. Cette assertion ne paraîtra pas extraordinaire, si l'on songe que la Pensylvanie ne possède point d’hôpital d’aliénés où les indigents ou bien les gens sans famille puissent être envoyés. C’est ainsi que dans la prison de Connecticut, qui est régie d’après le système d’Auburn, il se trouvait, en 1858, huit détenus en état de démence sur cent quatre-vingt-onze détenus que contenait la prison. L’État de Connecticut, comme celui de la Pensylvanie, n’a point d’hôpital d’aliénés.
  2. - Nous disons peut. Il est naturel, en effet, de concevoir un doute dont il est de notre devoir de faire part à la Chambre. En 1838, un ou deux détenus, présumés fous, obtiennent pour cette raison leur grâce. A partir de ce moment, les cas de folie se multiplient ; mais, contrairement à la marche habituelle des maladies mentales, quelques jours suffisent d’ordinaire pour guérir le malade. N’est-il pas permis de croire que quelques-unes de ces affections, si facilement surmontées, et qui apparaissent au milieu d’une prison où la santé générale des détenus est remaquablement bonne, ont été simulées, soit dans l’espérance d’échapper momentanément à la rigueur du régime commun, soit dans l’espoir de la grâce ?