Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol10.djvu/276

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leurs familles en quelque endroit du Sud-Est. Comme des oiseaux qui s’en vont au delà des mers, ces gens, avec leurs femmes et leurs enfants, aspiraient à ce Sud-Est où aucun d’entre eux n’était jamais allé, ils s’en allaient par caravanes, se rachetaient individuellement ou s’enfuyaient pour aller là-bas, aux fleuves chauds. Plusieurs furent punis, déportés en Sibérie ; plusieurs moururent de faim et de froid, pendant la route ; plusieurs revinrent d’eux-mêmes, et le mouvement se calma comme il avait commencé, sans cause apparente.

Mais des idées souterraines ne cessaient de s’infiltrer dans ce peuple et se rassemblaient pour, sous quelque nouvelle forme, se manifester aussi étrangement, aussi inopinément et en même temps, simplement, naturellement et avec force. Maintenant, en 1812, pour un homme vivant près du peuple, il était évident que ces idées mystérieuses fermentaient et que la manifestation en était proche.

Alpatitch, en venant à Bogoutcharovo, quelque temps avant la mort du vieux prince, avait remarqué qu’un mouvement se produisait dans le peuple et que, contrairement à ce qui avait lieu dans la région de soixante verstes de rayon autour de Lissia-Gorï, où tous les paysans s’enfuyaient (en laissant aux Cosaques leurs villages à piller), du côté des steppes, les paysans de Bogoutcharovo,