Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol10.djvu/278

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en promettant de revenir le lendemain pour les funérailles. Mais le lendemain, il ne pouvait venir, puisque, d’après les nouvelles qu’il avait reçues, les Français s’avançaient tout à fait à l’improviste, et il eut à peine le temps d’emmener de son domaine sa famille et tout ce qu’il avait de précieux.

Depuis une trentaine d’années Bogoutcharovo était dirigé par le starosta Drone, que le vieux prince appelait Dronouchka[1].

Drone était un de ces paysans solides moralement et physiquement qui, dès qu’ils prennent de l’âge, laissent pousser une longue barbe et puis, sans changer, jusqu’à soixante ou soixante-dix ans, sans un seul cheveu blanc, toutes leurs dents, sont aussi droits et aussi solides qu’à trente ans.

Drone, bientôt après l’émigration aux fleuves chauds, à laquelle il participa comme les autres, était fait starosta à Bogoutcharovo et depuis, pendant vingt-trois ans, avait rempli ses fonctions d’une façon irréprochable. Les paysans le craignaient plus que le maître. Les seigneurs : le vieux prince et les jeunes, et le gérant, le respectaient et l’appelaient en plaisantant le ministre. Durant tout le temps de ses fonctions, Drone pas une seule fois n’avait été ivre ou malade ; que ce fût après une nuit sans sommeil ou après n’importe quel travail, jamais il n’avait éprouvé la moindre fatigue ; il ne savait pas lire mais

  1. Diminutif caressant de Drone. (N. d. T).