Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol10.djvu/291

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La princesse Marie semblait étonnée à la pensée que, maintenant, pendant qu’une si grande douleur emplissait son âme, il y eût des riches et des pauvres et que les riches pussent ne pas aider les pauvres. Elle avait entendu dire et savait vaguement qu’il y avait le blé des seigneurs et qu’on le donnait aux paysans ; elle savait aussi que ni son frère ni son père ne refusaient rien aux paysans dans la misère ; elle craignait seulement de se tromper en parlant d’une distribution de blé aux paysans qu’elle voulait ordonner. Elle était contente d’avoir maintenant le prétexte de soucis pour lesquels elle pouvait, sans honte, oublier sa douleur. Elle se mit à demander à Drone des détails sur la misère des paysans et sur ce qui, à Bogoutcharovo, appartenait aux seigneurs.

— Chez nous, il y a du blé de mon père, du seigneur, n’est-ce pas ?

— Le blé des seigneurs est intact, répondit Drone avec fierté, notre prince n’a pas ordonné de le vendre.

— Donne-le aux paysans ; donne-leur tout ce qu’il faut. Je te le permets, au nom de mon frère, dit la princesse Marie.

Drone ne répondit rien et soupira profondément.

— Distribue-leur ce blé ; donne tout s’il le faut. Je te l’ordonne au nom de mon frère, et dis-leur que tout est à eux. Nous n’épargnons rien pour eux. Dis-leur cela.