Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol10.djvu/38

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regret de la tristesse de ses sujets qu’il quittait, quand on lui eut ordonné de rentrer de nouveau au service et surtout, après son entrevue avec Napoléon à Dantzig, quand son auguste beau-frère lui dit : « Je vous ai fait roi pour régner à ma manière, mais pas à la vôtre », il se mit gaiement à la besogne qu’il connaissait, et, comme un cheval bien nourri, pas trop gras, qui joue entre les brancards en se laissant atteler, lui, se vêtant de la façon la plus bigarrée et la plus chère possible, joyeux et satisfait, — galopait ne sachant lui-même où ni pourquoi, sur les routes de la Pologne.

En apercevant le général russe, d’un mouvement royal et solennel, il rejeta sa tête aux cheveux bouclés tombant sur les épaules et regarda interrogativement le colonel. Celui-ci transmit respectueusement à Sa Majesté les titres de Balachov, dont il ne pouvait prononcer le nom.

De Bal Macheve ! dit le roi (bravant avec son audace la difficulté qui se présentait au colonel). Charmé de faire votre connaissance, général, ajouta-t-il avec un geste gracieux, royal. Aussitôt qu’il se mit à parler haut et vite, toute sa dignité royale l’abandonna d’un coup, et, sans le remarquer lui-même, il tomba dans le ton de familiarité naïve. Il porta la main au toupet du cheval de Balachov.

Eh bien ! général, tout est à la guerre, à ce qu’il paraît, dit-il comme s’il regrettait les circonstances dont il ne pouvait être juge.