Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol11.djvu/150

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l’ordre. J’irai jusqu’au commissariat de police. Tu crois que j’aurai peur ! Tu sais, maintenant on ne permet pas de brigander ! s’écria le débitant ; il ramassa son bonnet…

— Allons. En voilà !… Allons !… en voilà ! répétaient l’un après l’autre le débitant et le grand garçon, et tous deux s’avancèrent dans la rue. Le forgeron ensanglanté marchait à côté d’eux. Les ouvriers et des passants les suivirent en criant et causant.

Au coin de la rue Morosseïka, en face d’une grande maison aux fenêtres fermées sur laquelle était l’enseigne d’un cordonnier, se tenaient une vingtaine de cordonniers aux visages tristes, maigres, fatigués, en khalat[1] et blouses déchirées.

— Qu’il paie ses ouvriers comme il faut, disait un cordonnier à la petite barbiche, aux sourcils froncés. Il a sucé notre sang et… fini. Il nous a coulés, roulés, toute la semaine ; il nous a coulés jusqu’au bout et maintenant voilà : lui-même est parti.

En apercevant la foule et un homme ensanglanté, le cordonnier qui parlait se tut, et tous avec curiosité se joignirent à la foule.

— Où va-t-on ?

— C’est connu, chez les chefs.

— Quoi ! Est-ce vrai que notre armée n’a pas le dessus ?

  1. Vêtement très long que portent les Orientaux.