Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol11.djvu/172

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près du perron. Le grondement lointain de la foule arrivait jusque-là. Le comte s’installa vivement dans la voiture et ordonna d’aller à Sokolniki, à sa villa. Rue Miasnitzkaïa, n’entendant plus les cris de la foule, il commença à regretter son acte. Il se rappelait maintenant avec mécontentement l’émotion et l’effroi qu’il avait laissé voir devant ses subordonnés. « La populace est terrible, elle est hideuse. Ils sont comme les loups qu’on ne peut apaiser qu’avec de la chair, » pensait-il.

— « Comte, Dieu est au-dessus de nous. » Ces paroles de Vereschaguine soudain le rappelèrent à lui, et un frisson désagréable parcourut son dos. Mais, ce dura peu, le comte Rostoptchine sourit bientôt avec mépris de soi-même. « J’avais d’autres devoirs. Il fallait apaiser le peuple. Bien d’autres victimes ont péri et périssent pour le bien public, » se dit-il, et il se mit à penser aux devoirs généraux qu’il avait envers sa famille, envers sa capitale (confiée à lui) et envers soi-même, non comme Fédor Vassiliévitch Rostoptchine, (il pensait que Fédor Vassiliévitch Rostoptchine se sacrifiait pour le bien public), mais envers soi comme général gouverneur, représentant du pouvoir et délégué du tzar. « Si j’étais simplement Fédor Vassiliévitch, ma ligne de conduite aurait été autrement tracée, mais je dois conserver la vie et la dignité du gouverneur général. »

Légèrement balancé sur les ressorts souples de