Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol11.djvu/275

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avoir épuisé tous les moyens qui sont en mon pouvoir, je me laisserai croître la barbe jusqu’ici — il porta la main à mi-hauteur de la poitrine — et j’irai manger des pommes de terre avec le dernier de mes paysans plutôt que de signer la honte de ma patrie et de ma chère nation, dont je sais apprécier les sacrifices !

Après avoir prononcé ces paroles d’une voix émue, l’empereur se détourna comme s’il voulait cacher de Michaud les larmes qui montaient à ses yeux, et il alla au fond de son cabinet de travail. Il y resta quelques instants, puis à grands pas revint vers Michaud et, d’un geste énergique, lui serra la main. Le doux et bon visage de l’empereur était rouge, ses yeux brillaient de résolution et de colère

Colonel Michaud, n’oubliez pas ce que je vous dis ici ; peut-être qu’un jour nous nous le rappellerons avec plaisir, dit l’empereur en portant la main à sa poitrine. Napoléon ou moi, nous ne pouvons plus régner ensemble. J’ai appris à le connaître, il ne me trompera plus…

Et fronçant les sourcils il se tut.

En entendant ces paroles, en voyant l’expression de résolution ferme dans les yeux de l’empereur, Michaud, quoique étranger, mais Russe de cœur et d’âme, se sentit en ce moment solennel enthousiasmé par tout ce qu’il venait d’entendre (comme il le dit ensuite) et dans les termes suivants il