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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol12.djvu/186

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après ? » Et aussitôt il se répondait : « Rien. Je verrai. Ah ! comme c’est bien ! »

Ce qui le tourmentait autrefois, ce qu’il cherchait toujours : le but de la vie, maintenant n’existait plus pour lui. Ce but de la vie n’existait plus pour lui, non par hasard, momentanément, mais il sentait qu’il n’existait pas, qu’il ne pouvait être. Et cette absence de but qui lui donnait cette conscience complète et joyeuse de la liberté faisait son bonheur.

Il ne pouvait avoir de but parce que, maintenant, il avait la foi, non la foi en des règles, des paroles ou des idées, mais la foi en Dieu vivant, qu’on sent toujours. Auparavant, il le cherchait dans ce but qu’il se plaçait. Cette recherche d’un but n’était que la recherche de Dieu. Et tout d’un coup, en captivité, il avait appris non par des paroles, non par des raisonnements, mais par le sentiment immédiat, ce que depuis longtemps sa vieille bonne lui disait : que Dieu est ici, partout. En captivité il avait appris que Dieu en Karataïev est plus grand, plus infini, plus incompréhensible que dans l’architecte de l’univers reconnu par les maçons. Il éprouvait le sentiment d’un homme qui trouve sous ses pieds ce qu’il cherchait alors que son regard errait loin devant lui. Toute sa vie il avait regardé là-bas, quelque part, par-dessus les têtes des hommes qui l’entouraient… et il ne fallait pas fixer ses regards, mais seulement regarder devant soi.