Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol12.djvu/460

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moi. Voici ce que je répondrai à ce reproche. Je sais en quoi consiste le caractère de l’époque qu’on ne trouve pas dans mon roman : ce sont les horreurs de l’esclavage, l’emmurement des femmes, les fustigations des fils adultes. Soltitchikfia, etc. Mais ce caractère du temps que nous nous imaginons ne me paraît pas juste et je n’ai pas eu le désir de l’exprimer. En étudiant les correspondances, les mémoires, les traditions, je n’ai pas trouvé toutes les horreurs de cette époque pires que ce que nous voyons maintenant et avons toujours vu. Dans ce temps on aimait de la même façon, on enviait, on cherchait la vérité, on se laissait entraîner par les passions. Il y avait la même vie compliquée, intellectuelle, parfois même plus raffinée que maintenant, dans toutes les sphères. S’il s’est formé chez nous une opinion du caractère despotique et de la force brutale de ce temps, c’est seulement parce que les traditions, les mémoires, les nouvelles, les romans ont apporté jusqu’à nous les cas les plus extraordinaires de la violence et de la brutalité. De là à conclure que le caractère prépondérant de ce temps était la brutalité, c’est aussi injuste que si un homme, ne voyant derrière la montagne que le sommet des arbres, disait que dans ce pays il n’y a que des arbres. Il y a un caractère de ce temps (comme il y a le caractère de chaque époque) qui découle de l’éloignement plus ou moins grand des hautes sphères des autres classes, de la philoso-