Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol12.djvu/478

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tion et de se détacher, au moins extérieurement, de la réalité fatale et pénible.

» J’ai cité à Norov des exemples tirés de la vie des grands hommes, de César, de Pierre Ier, d’Alexandre de Macédoine, etc. Je lui rappelai qu’Alexandre de Macédoine dans la guerre des Perses se reposait en lisant Homère et qu’au milieu des combats avec les nomades asiatiques, il correspondait avec ses amis, en Grèce et leur demandait de lui envoyer les œuvres des dramaturges grecs.

« Enfin, citant à Norov les descriptions, des derniers jours d’un condamné, je lui demandai de se rappeler que quelques-uns d’entre eux, quelques heures avant la mort certaine, cherchaient à causer avec les geôliers des théâtres et autres nouvelles du jour ou lisaient avec acharnement leurs poètes favoris.

» — Tout cela est vrai, mon cher, tout cela pouvait arriver, mais avec d’autres gens et d’autres temps, m’objecta Norov.

» Mais nous, en 1812 nous ne cherchions pas d’aventures comme César ou le héros de Macédoine et encore moins cherchions-nous des effets charlatanesques comme les Jacobins guillotinés pendant la Révolution française. Avant Borodino, sous Borodino et après, nous tous, depuis Koutouzov jusqu’au dernier sous-lieutenant d’artillerie, comme moi, étions animés d’une seule force suprême et sacrée, de l’amour pour la patrie et, contrairement