Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol13.djvu/338

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aux yeux noirs, appelé Kiska (Minette). Kiska avait attrapé l’autre par les cheveux et lui frappait la tête contre le mur. Le mathématicien tâchait en vain de saisir les cheveux de Kiska. Les petits yeux noirs de Kiska triomphaient. Le mathématicien retenant à peine ses larmes, disait : « Eh bien ! eh bien ! quoi ! » Mais on voyait qu’il était en mauvaise posture et bravait seulement. Cela dura assez longtemps. Je me demandais ce qu’il fallait faire. « On se bat ! on se bat ! » criaient les enfants, et ils se groupaient autour des combattants. Les petits riaient, mais les grands, sans intervenir, échangeaient entre eux des regards sérieux ; et ces regards et ce silence n’échappaient pas à Kiska. Il comprit qu’il faisait quelque chose de mal ; il eut un sourire peu naturel et, peu à peu, lâcha les cheveux du mathématicien. Celui-ci se dégagea, poussa Kiska si fort qu’il l’envoya contre le mur, et, satisfait, il s’éloigna. Kiska se mit à pleurer. Il s’élança à la poursuite de son ennemi, le frappa de toutes ses forces, mais pas bien fort pourtant, sur le dos. Le mathématicien voulut se venger, mais, à ce moment, quelques voix réprobatives éclatèrent. « Voilà, tu bats le petit ! Sauve-toi, Kiska ! » Et, tout en resta là, comme si rien ne s’était passé, à l’exception, je suppose, de la conscience vague chez l’un et l’autre qu’il est désagréable de se battre, car on se fait mal. Ce me fut une occasion d’observer le sentiment de justice que garde la