Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol13.djvu/344

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été pincé au moment où il les cachait dans l’escalier. On lui mit de nouveau l’écriteau, et de nouveau commença la même scène monstrueuse. Je me mis à lui faire des remontrances comme font tous les éducateurs. Un adulte qui assistait à cette scène se mit aussi à lui faire la morale en répétant les paroles que, probablement, il avait retenues de son père le fermier. — « Il a volé une fois, deux fois, disait-il, il en prendra l’habitude, ça finira mal. » Je commençais à être agacé ; j’étais presque en colère contre le voleur. Je regardai son visage encore plus pâle, plus souffrant, plus cruel, et, je ne sais pourquoi, je me souvins des forçats et, tout d’un coup, j’éprouvai une telle honte que j’arrachai l’écriteau stupide en disant au garçon d’aller où il voudrait. J’avais senti, soudain, non par le raisonnement mais par tout mon être, que je n’avais pas le droit de tourmenter ce malheureux enfant et que je ne pouvais pas faire de lui ce que moi et le fils du fermier en voulions faire. Je compris qu’il y a des mystères de l’âme cachés de nous sur lesquels la vie seule peut agir et non la morale et les punitions. Et quelle sauvagerie ! L’enfant a volé un livre. Par la voie longue, compliquée des sentiments, des idées, des conclusions erronées, il fut amené à prendre le livre d’un autre et, on ne sait pourquoi, à l’enfermer dans son coffre. Et moi, je colle l’écriteau avec le mot « voleur » qui signifie tout autre chose. Pourquoi ? Pour le punir par la