Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol14.djvu/228

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Je sens quelque chose de lourd peser sur moi, un souffle chaud haleter au-dessus de mon visage… Il me prend la tête dans sa gueule. Mon nez est déjà dans sa bouche, et je respire l’odeur chaude de son sang. Il me serre les épaules entre ses pattes : il m’est impossible de bouger.

Cependant je réussis à replier ma tête contre ma poitrine, et, avec effort, je dégage mon nez et mes yeux de sa gueule. Mais lui guette l’occasion de planter ses crocs juste dans mes yeux et mon nez. Je sens qu’il applique sa mâchoire supérieure sur mon front, au-dessous des cheveux, et sa mâchoire inférieure au-dessous de mes yeux. Il serre les dents, il commence à presser. Des couteaux, me semble-t-il, entrent dans ma tête. Je me débats, je m’évertue ; et lui, il se dépêche et me ronge comme un chien.

Je me dégage ; il me saisit de nouveau. « Ma fin est venue ! » pensé-je.

Tout à coup, je sens que le poids qui m’écrase s’allège. Je regarde, il n’est plus là ; il m’a lâché, il est parti.

Aussitôt que mon compagnon et Démian avaient vu que l’ours, après m’avoir renversé dans la neige, se mettait à me dévorer, ils s’étaient jetés à mon secours. Mon compagnon, dans sa hâte d’arriver plus vite, s’était trompé ; au lieu de prendre le sentier battu, il s’était fourvoyé à travers champs et était tombé. Tandis qu’il se relevait pénible-