Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol15.djvu/402

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Vronskï et Anna éprouvaient en face de lui un sentiment semblable à celui du navigateur qui verrait d’après la boussole que la direction dans laquelle il avance rapidement n’est pas la bonne, mais qui n’aurait pas la force d’arrêter le mouvement et s’éloignerait de plus en plus, sachant qu’avouer l’écart de la vraie direction c’est avouer la perte.

Cet enfant, avec son instinct naïf de la vie, était la boussole qui leur montrait le degré de l’écart qu’ils connaissaient mais ne voulaient pas avouer.

Serioja, cette fois, n’était pas à la maison ; elle était seule, assise sur la terrasse, attendant le retour de son fils qui était allé se promener et que la pluie avait dû surprendre. Elle avait envoyé un domestique le chercher et s’était assise en l’attendant.

Vêtue d’une robe blanche flottante, elle était dans un coin de la terrasse, derrière des plantes, et n’avait pas entendu marcher. Sa tête, brune et frisée, était inclinée ; elle serrait contre son front l’arrosoir froid, qu’elle retenait de ses deux belles mains ornées de bagues, qu’il connaissait si bien. La beauté de toute sa personne, de sa tête, de son cou, de ses mains, frappait chaque fois Vronskï comme une chose inattendue. Il s’arrêta, la regardant avec admiration. Mais, dès qu’il voulut faire un pas pour s’avancer vers elle, elle sentit aussitôt son approche, repoussa l’arrosoir et tourna vers lui son visage brûlant. « Qu’avez-vous ? Vous êtes souffrante ? » dit-il en français en s’appro-