Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol16.djvu/194

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infailliblement contre une invincible inertie dont l’inévitable résultat serait de ruiner l’exploitation, de détériorer d’ingénieuses machines, d’abîmer de magnifiques bêtes et finalement d’épuiser le sol.

Ce qui l’affligeait le plus c’était que l’énergie qu’il employait à diriger cette entreprise se trouvait dépensée en pure perte et il ne pouvait s’empêcher, quand il songeait à son travail, d’en considérer le but comme des plus mesquins. En réalité, en quoi consistait la lutte ? D’une part lui, Lévine, était réduit à batailler pour un sou s’il ne voulait pas en arriver bientôt à manquer de l’argent nécessaire pour payer les ouvriers — ceux-ci, d’autre part, ne recherchaient que la possibilité de travailler tranquillement, agréablement, c’est-à-dire sans rien changer à leurs habitudes.

Ainsi donc leurs intérêts se trouvaient en absolue opposition : alors que de son côté Lévine s’efforcait de faire produire à chaque ouvrier la plus grande somme de travail possible, alors qu’il luttait contre la négligence de l’ouvrier et veillait à ce qu’il ne cassât ni le van ni le moulin, mais réfléchît à sa besogne, celui-ci n’avait d’autre souci que de rendre son travail le plus agréable possible, que de se ménager des repos et n’entendait nullement être astreint à penser. Cet été encore Lévine avait eu maintes fois l’occasion de constater cet état d’esprit. Un jour qu’il avait envoyé faucher le trèfle, pour le fourrage, en choisissant de préférence les surfaces