Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol16.djvu/25

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ment déjà laissé partir les paysans qui travaillaient aux champs. Ceux-ci en effet retournaient les araires. « Ont-ils déjà fini de labourer ? » se dit-il.

— Mais écoute donc ! dit le frère aîné dont le beau visage intelligent s’était subitement rembruni. Il y a des limites à tout. C’est très bien d’être original et franc et d’être dépourvu d’hypocrisie, je sais tout cela ; mais de deux choses l’une, ou bien tes paroles n’ont pas de sens, ou elles en ont un mauvais. Comment peux-tu trouver sans importance que ce peuple que tu aimes, comme tu l’assures…

« Je n’ai jamais assuré rien de pareil », pensa Lévine.

— … Que ce peuple, continua Serge, meure sans secours ? D’ignorantes matrones font périr les nouveau-nés ; le peuple croupit dans l’ignorance et reste la proie du premier scribe venu, et toi, qui as entre les mains les moyens d’y remédier, tu ne le fais pas, parce que cela te semble sans importance.

Et Serge Ivanovitch lui posait ce dilemme : Ou ton développement intellectuel est en défaut et ne te permet pas de voir tout ce que tu peux faire, ou tu ne veux pas sacrifier ton repos, ton ambition, et je ne sais quoi encore, à cette cause.

Constantin Lévine sentit qu’il ne lui restait qu’à se soumettre ou à avouer son manque d’amour