Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol16.djvu/275

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fondit dans son esprit avec celui d’Anna et celui d’un paysan qui avait joué un rôle très important pendant la chasse à l’ours ; finalement il s’endormit. Il s’éveilla dans l’obscurité, tremblant de peur, et hâtivement alluma une bougie. « Qu’y a-t-il donc ? se demanda-t-il. Quoi ? Qu’ai-je donc vu de si terrible en rêve ? Oui, oui, c’était ce paysan, petit et sale, avec sa barbe embroussaillée ; il se penchait pour faire je ne sais quoi, et tout d’un coup, il s’est mis à prononcer en français des paroles étranges. Oui, c’est bien là tout ce que j’ai rêvé, se dit-il. Mais qu’y a-t-il de si terrible à cela ? » Il se rappela de nouveau le paysan et les mots incompréhensibles qu’il avait prononcés, et un frisson d’horreur lui glaça le dos.

« Quelle folie ! » pensa-t-il, et il regarda sa montre. Il était déjà huit heures et demie. Il sonna son valet, s’habilla hâtivement et sortit. À peine fut-il sur le perron qu’il avait déjà tout à fait oublié son rêve, tourmenté seulement par la crainte d’être en retard.

En approchant de la maison des Karénine, il consulta de nouveau sa montre, et vit qu’il était neuf heures dix. Une voiture haute et étroite, attelée de deux chevaux gris, se trouvait près du perron. Vronskï reconnut la voiture d’Anna. « Elle va chez moi, pensa-t-il, et en effet cela vaudrait mieux. Il m’est très désagréable d’entrer dans cette maison ; mais qu’importe, je ne puis pas avoir l’air de me