Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol16.djvu/389

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même genre ! » se dit-il amèrement en décachetant le deuxième télégramme. Celui-ci était de sa femme. La signature, « Anna » au crayon bleu, lui sauta aux yeux tout d’abord. « Je meurs, vous prie, vous supplie de venir, mourrais plus tranquille, pardonnée » ; à cette lecture il sourit avec mépris et jeta le télégramme, convaincu dès l’abord que ce n’était là qu’une ruse, qu’un mensonge.

« Il n’y a pas de mensonge devant lequel elle reculerait. Elle doit être sur le point d’accoucher, et ce sont sans doute les douleurs de l’enfantement. Mais quel est leur but ? Légitimer l’enfant, me compromettre, empêcher le divorce ? » pensa-t-il. « Mais il y a bien écrit : je meurs ?… » Il relut le télégramme et, tout d’un coup, le véritable sens de celui-ci le frappa.

« Et si c’était la vérité ? se dit-il. S’il était vrai qu’au moment des souffrances et de l’approche de la mort elle se repentît sincèrement, et si de mon côté, croyant à un mensonge, je refusais de venir ! Ce serait cruel et stupide de ma part, et tout le monde serait en droit de m’en blâmer. »

— Pierre, va chercher une voiture, je pars pour Pétersbourg, dit-il au valet.

Alexis Alexandrovitch avait décidé d’aller à Pétersbourg et de voir sa femme. Si sa maladie n’était qu’une ruse, il se tairait et repartirait ; si au contraire elle était mortellement atteinte et désirait le voir avant la mort, il lui pardonnerait, s’il la trou-