Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol16.djvu/424

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fâcher, puis il alla chez sa sœur. Il la trouva tout en larmes. Bien qu’il fût d’humeur très joyeuse, il passa tout naturellement à ce ton compatissant et un peu sentimental qui convenait à l’état d’esprit d’Anna. Il s’informa de sa santé, et lui demanda comment elle avait passé la matinée.

— Très mal, très mal… La journée, comme la matinée, comme d’ailleurs tous les jours passés et futurs, dit-elle.

— Il me semble que tu t’abandonnes trop à tes idées noires. Il faut se secouer, il faut regarder la vie en face… Je sais que ta situation est pénible, mais…

— J’ai entendu dire qu’il y a des femmes qui aiment certains hommes pour leurs vices, commença brusquement Anna, et moi, je le hais pour sa vertu ! Je ne puis pas vivre avec lui. Comprends donc, son aspect agit sur moi physiquement, et me met hors de moi. Je ne puis plus, je ne puis plus vivre avec lui ! Que puis-je donc faire ? J’ai été malheureuse et j’ai pensé qu’on ne pouvait l’être davantage, mais cet horrible état dans lequel je me trouve maintenant, je ne pouvais l’imaginer. Pense un peu : je sais qu’il est bon, admirable, j’ai conscience que je ne vaux pas le bout de son ongle et cependant je le hais, je le hais précisément pour sa magnanimité ! Il ne me reste plus que…

Elle voulait dire : la mort, mais Stépan Arkadiévitch ne la laissa pas terminer.