Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol18.djvu/15

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on regarde une personne aimée, en tâchant de la voir comme un étranger pour se rendre compte de l’impression qu’elle produit sur les autres, elle constatait, même avec une crainte jalouse, que non seulement il n’était pas à plaindre, mais qu’il était très attrayant par sa distinction, sa politesse un peu surannée, sa gêne avec les femmes, par toute sa personne robuste et surtout par son visage particulièrement expressif. Mais elle le voyait non seulement extérieurement mais intérieurement. Elle remarquait qu’ici il n’était pas le même Lévine qu’à la campagne ; elle ne pouvait se définir autrement son état.

Parfois, dans son âme, elle lui reprochait de ne pas savoir vivre en ville ; parfois elle reconnaissait qu’il lui était vraiment difficile d’arranger sa vie de façon à en être content. En effet que pouvait-on faire en ville ? Jouer aux cartes ? Il n’aimait pas le jeu, il ne fréquentait pas les clubs ; tenir compagnie aux hommes gais, genre Oblonskï, elle savait maintenant en quoi cela consistait : à boire et aller ensuite en certains endroits… auxquels elle ne pouvait penser sans horreur. Aller dans le monde ? Elle savait qu’il fallait pour cela éprouver du plaisir en la société des femmes jeunes, elle ne pouvait donc le désirer. Rester à la maison avec elle, avec sa mère, ses sœurs ? Quelque agréables et gaies qu’elles fussent, c’était un peu monotone, toujours « Aline-Nadine », comme le prince appe-