Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol18.djvu/205

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ni l’autre… Toutes les tentatives ont été faites… la vis est desserrée… Tiens ! une mendiante avec un enfant… Elle pense sans doute que j’ai pitié d’elle… Est-ce que nous tous ne sommes pas abandonnés dans le monde… pour seulement se haïr et ensuite se tourmenter et faire souffrir les autres ?… Voilà des écoliers qui viennent… Et Serge ? » se rappela-t-elle, « je croyais aussi que je l’aimais et je m’attendrissais sur cet amour ; cependant j’ai vécu sans lui, j’ai changé son amour contre un autre, et je ne me plaignis point de ce changement tant que je fus satisfaite de cet autre amour… » Avec dégoût elle se rappela ce qu’elle appelait cet autre amour, et la clarté avec laquelle elle voyait maintenant sa propre vie et celle des autres la réjouissait. « Ainsi c’est moi, Pierre, le cocher Théodore, ce marchand et tous ces hommes qui vivent là-bas sur le Volga où les attirent toutes ces affiches ? » pensa-t-elle en arrivant à la gare de Nijni-Novgorod où des facteurs accouraient à sa rencontre.

— Faut-il un billet jusqu’à Obiralovka ? demanda Pierre.

Elle avait totalement oublié où et pourquoi elle voulait partir ; il lui fallut un réel effort pour comprendre cette question.

— Oui, dit-elle lui tendant sa bourse, et prenant à la main son petit sac rouge elle descendit de voiture.