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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol18.djvu/211

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Quand le train stoppa à la gare, Anna sortit dans la foule des voyageurs, s’écartant d’eux comme de pestiférés. Elle s’arrêta sur le quai, tâchant de se rappeler pourquoi elle était venue ici et ce qu’elle avait l’intention de faire. Tout ce qui auparavant lui semblait possible était maintenant très difficile à concevoir, au milieu de cette foule bruyante de gens affreux qui ne la laissaient pas tranquille. Tantôt c’étaient des facteurs qui accouraient vers elle, lui proposant leurs services ; tantôt des jeunes gens qui, frappant des talons sur le plancher du quai et causant à haute voix, la dévisageaient ; tantôt ceux qui allaient à sa rencontre ne s’écartaient pas pour la laisser passer.

Se rappelant qu’au cas où il n’y aurait pas de réponse, elle avait décidé d’aller plus loin, elle arrêta un des facteurs et lui demanda s’il n’y avait pas à la gare un cocher avec un billet pour le comte Vronskï :

— Le comte Vronskï ? Tout de suite on est venu de sa part. On est allé à la rencontre de la princesse Sorokine et de sa fille. Et le cocher, comment est-il de visage ?

Pendant qu’elle parlait au facteur, le cocher Mikhaïlo, rouge, gai, dans son élégant costume bleu, orné d’une chaîne de montre, évidemment fier d’avoir si bien exécuté sa commission, s’approcha d’elle et lui tendit le billet. Elle le décacheta et son cœur se serra avant même de l’avoir lu.