Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol19.djvu/72

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cette duperie et de se tuer, ils ont l’air d’attendre quelque chose. C’est l’issue de la faiblesse. Car une fois que je sais qu’une chose est meilleure, et qu’elle est en mon pouvoir, pourquoi ne pas la faire ?…

J’appartenais à cette catégorie.

Ainsi les hommes, se trouvant dans mon cas, se sauvent par quatre issues de l’horrible contradiction. J’eus beau y employer toutes mes forces intellectuelles : sauf ces quatre issues, je ne trouvais rien.

La première : ne pas comprendre que la vie est une stupidité, une vanité et un mal, et qu’il vaut mieux ne pas vivre. Je ne pouvais ignorer cela, et, le sachant, je ne pouvais fermer les yeux. La deuxième : jouir de la vie telle qu’elle est, sans penser à l’avenir. Cela aussi m’était impossible. Comme Chakia-Mouni, je ne pouvais aller à la chasse quand je savais exister la vieillesse, les souffrances et la mort. Mon imagination était trop vive. En outre, je ne pouvais me réjouir d’un hasard temporaire qui m’avait jeté pour un instant dans une partie de plaisir. La troisième : ayant compris que la vie est un mal et une absurdité, y mettre fin en me tuant. Je l’avais compris, mais, je ne sais pourquoi, je ne me tuai pas. La quatrième : vivre comme Salomon et Schopenhauer, savoir que la vie est une farce stupide qui m’a été jouée, et tout de même vivre, se lever, s’habiller, dîner, causer,