Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol3.djvu/276

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Çaou boul (À ta santé) — dit Erochka en souriant, et il vida son verre.

— Tu dis la fête ! — fit-il à Olénine en se levant et en regardant par la fenêtre. — Quelle fête ! Si tu avais vu comme on s’amusait autrefois ? Les femmes étaient habillées en sarafane[1] brodés de galons, la poitrine ornée de deux rangs de pièces d’or, des coiffures dorées sur la tête. Quand elles passaient, frfrfr, le bruit se soulevait. Chaque femme était comme une princesse. Elles se mettaient en groupe, commençaient à chanter des chansons et s’amusaient toute la nuit. Les Cosaques sortaient des tonneaux dans les cours, s’asseyaient et buvaient toute la nuit jusqu’à l’aube. En se prenant par la main, ils se répandaient dans la stanitza comme une lave. On entraînait avec soi tous ceux qu’on rencontrait et on allait les uns chez les autres. Et ça durait comme ça pendant trois jours. Mon père, je m’en souviens encore, venait tout rouge, enflé, sans bonnet, il avait tout perdu et venait se coucher. Ma mère était déjà habituée : « Apporte-lui du caviar frais et du vin » ; et elle-même courait par la stanitza pour chercher son bonnet, et il dormait comme ça pendant deux jours. Voilà quelles gens c’étaient ! Et maintenant, peuh !

— Eh bien ! Et les filles en sarafane elles s’amusaient donc seules ? — demanda Bieletzkï.

  1. Sarafane, long vêtement sans manches que portaient autrefois les femmes russes.