Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol36.djvu/285

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tout le sang qui se trouvait dans la coupe, mangea tout le morceau de la chair de Dieu qui restait ; puis il sécha soigneusement ses moustaches avec ses lèvres, essuya sa bouche et la tasse, et ressortit tout joyeux, d’un pas ferme, en faisant craquer les fines semelles de ses chaussures.

Là se terminait la partie principale de l’office chrétien. Mais, désireux de consoler les malheureux prisonniers, le prêtre fit suivre au service ordinaire une cérémonie particulière. Il se plaça devant une image de ce Dieu, au visage et aux mains noircis, qu’il venait soi-disant de manger, et qui était éclairée d’une douzaine de cierges ; et il commença, d’une voix étrange et fausse, à réciter et chanter à la fois la série des paroles suivantes : « Doux Jésus, gloire des Apôtres, Jésus, louange des Martyrs, Seigneur Tout-Puissant, sauve-moi ! Jésus mon sauveur, Jésus mon plus beau, j’ai recours à toi ! Sauve-moi ! Jésus, aie pitié de moi ! Par les prières de ta naissance, Jésus ; par tous tes saints, tous les Prophètes sauve-moi Jésus ! Accorde-moi les douceurs du Paradis, Jésus, ô toi qui aimes les hommes ! »

Ici il s’arrêta, respira, se signa, se prosterna jusqu’à terre ; et tous firent de même. Le directeur, les surveillants, les prisonniers, tous s’inclinèrent ; et, en haut de la nef, le tintement des chaînes s’accentua. — « Créateur des Anges et maître des Forces », continua le prêtre, « Jésus