Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol37.djvu/143

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qui lui valait une belle demeure, un bon traitement et des honneurs. Il exécutait strictement les ordres venus de haut lieu, et voyait en cela quelque chose de particulièrement appréciable, car il attribuait à ces ordres une importance toute spéciale, et se figurait que tout, hormis ces ordres, pouvait être changé sur terre. Son devoir consistait à maintenir dans les cachots, et au secret, les détenus politiques des deux sexes, et cela de telle façon que la moitié d’entre eux, en moins de dix ans, disparaissaient, devenaient fous, mouraient de phtisie, se suicidaient, soit en se laissant mourir de faim, en s’ouvrant les veines avec un morceau de verre, en se pendant ou se brûlant vifs.

Le vieux général savait tout cela ; mais tous ces cas n’émouvaient pas plus sa conscience que les accidents dus aux orages, aux inondations, etc. Ces cas résultaient de l’exécution d’ordres formulés au nom de l’Empereur, et qui, forcément, devaient être exécutés à la lettre ; il n’y avait donc point à se préoccuper de leurs conséquences. Aussi le vieux général ne se permettait-il pas d’y réfléchir, considérant de son devoir de soldat patriote de n’y pas penser pour ne pas faiblir dans l’exécution de ces devoirs, à son avis si importants. Conformément au règlement, le vieux général visitait une fois par semaine toutes les cellules, s’informant si les prisonniers n’avaient pas