Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol37.djvu/289

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Le fou, assis sur son lit, fumait avidement la cigarette que lui avait donnée Nekhludov.

— Ah ! vous êtes revenu ? dit-il. Et il s’anima joyeusement. Mais, en apercevant le mort, il fit une grimace.

— Encore ! dit-il. Mais ils m’ennuient à la fin ! Je ne suis pas un gosse, n’est-ce pas ? dit-il à Nekhludov, en souriant d’un air interrogateur.

Nekhludov regardait le mort que maintenant rien ne lui cachait, et dont le visage n’était plus recouvert par le béret. Autant l’autre prisonnier était laid, autant celui-ci était beau de visage et de corps. C’était un homme dans le plein épanouissement de ses forces. Malgré sa tête rasée à moitié, le petit front énergique qui surplombait ses yeux noirs, maintenant sans vie, était très beau, ainsi que le nez petit, mince, arqué, surmontant une fine moustache noire. Ses lèvres, déjà bleuies, étaient plissées dans un sourire ; sa petite barbiche ne faisait qu’ombrer la partie inférieure de son visage, et, sur le côté rasé de son crâne, apparaissait une oreille petite, fine et ferme. L’expression de son visage était en même temps calme, austère et bonne. Non seulement ce visage témoignait des possibilités d’une vie morale, qui avaient été perdues en cet homme, mais les attaches fines de ses mains et de ses pieds chargés de chaînes, l’harmonie de l’ensemble, la vigueur des membres, tout cela révélait quel habile, fort