Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol37.djvu/343

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condamné à la déportation par décision de la commune. Depuis Tomsk, où sa femme était morte de la typhoïde, on lui avait permis de porter sa fillette. Il disait qu’il ne pourrait porter l’enfant si on lui mettait les menottes. Cette observation avait irrité l’officier, de mauvaise humeur en ce moment, et il avait frappé le prisonnier qui n’avait pas obtempéré sur-le-champ[1].

En face du prisonnier meurtri se tenait un soldat de l’escorte, et un autre prisonnier, trapu, à grande barbe noire, une main passée dans les menottes. Il glissait des regards en dessous, tantôt sur l’officier, tantôt sur le prisonnier meurtri tenant sa fillette. L’officier répéta au soldat l’ordre d’enlever l’enfant. Des murmures plus violents s’élevèrent parmi les autres prisonniers.

— Depuis Tomsk, nous avons marché sans menottes, prononça une voix enrouée, dans les derniers rangs.

— Ce n’est pas un chien ! C’est un enfant !

— Où mettra-t-il donc sa petite ?

— Ce n’est pas la loi ! disait encore un autre.

— Qui a dit cela ? s’écria l’officier, comme s’il eût été piqué, en se ruant sur la foule. Je te l’apprendrai, la loi ! Qui a parlé ? Toi ? toi ?

— Tout le monde le dit, parce que… commença un prisonnier trapu, aux larges épaules.

  1. Fait cité par D. A. Linev dans son livre Par étapes (Note de fauteur).