Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol37.djvu/358

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boire de l’eau-de-vie pour s’oublier. Mais il n’avait pu en rien adoucir son sort, car, durant les premiers jours de la route, il lui avait été impossible de la voir. Après son transfert parmi les criminels politiques, il put se convaincre, non seulement que ses craintes étaient mal fondées mais que peu à peu s’affirmaient en elle ces changements moraux qu’il avait tant souhaité voir s’accomplir en elle. Dès leur première entrevue, à Tomsk, elle était redevenue ce qu’elle était avant le départ. Elle n’était plus maussade, et loin de se troubler en l’apercevant, elle l’avait accueilli avec une joyeuse simplicité, le remerciant de ce qu’il avait fait pour elle et surtout de l’avoir mise à même de connaître des gens tels que ses compagnons actuels.

Après deux mois de marches par étapes, les changements qui s’étaient accomplis en elle se manifestaient dans son extérieur. Elle avait maigri, bruni, et semblait vieillie ; des rides apparaissaient sur ses tempes et au coin des lèvres ; elle ne ramenait plus ses cheveux sur ses yeux mais les cachait sous un fichu, et rien de son ancienne coquetterie ne subsistait plus, ni dans ses vêtements, ni dans sa coiffure, ni dans ses manières. Ce changement qui s’effectuait en elle était particulièrement agréable à Nekhludov.

Maintenant il éprouvait pour elle un sentiment qu’il n’avait encore jamais ressenti. Cela n’avait aucun rapport avec son premier amour poétique,