Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol37.djvu/366

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l’étranger pour se préparer au professorat ; mais il avait hésité. Il y avait une jeune fille qu’il aimait et il songeait à se marier et à se consacrer aux affaires du zemstvo. Il avait ainsi plusieurs projets et ne se décidait pour aucun. Sur ces entrefaites, ses camarades de l’université lui demandèrent une certaine somme pour l’œuvre commune. Il savait qu’il s’agissait de la révolution à laquelle alors il ne s’intéressait nullement ; mais par camaraderie, par amour-propre, ne voulant pas qu’on pût croire qu’il avait peur, il avait donné l’argent. Ceux à qui il le remit furent arrêtés. On trouva chez eux un billet indiquant la provenance de l’argent, et à son tour il fut arrêté, et conduit d’abord au poste, puis en prison.

— Dans la prison où l’on me mit, raconta Kryltsov à Nekhludov (il était assis sur sa couchette, la poitrine rentrée, les coudes sur ses genoux ; ses beaux yeux jetant parfois sur Nekhludov un regard brillant et fiévreux), on n’était pas bien sévère, non seulement nous pouvions communiquer en frappant contre la cloison, mais encore nous promener dans le corridor, échanger quelques mots, partager les provisions, le tabac, et même, le soir, chanter en chœur. J’avais une belle voix. Oui, si ce n’eût été le grand chagrin de ma mère, je me serais senti fort bien en prison ; c’était même agréable et intéressant. C’est là que j’ai fait connaissance du célèbre Pétrov (celui