Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol37.djvu/62

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n’était pas très propre et l’air y était étouffant. Nekhludov sortit dans la cour avec l’intention de se rendre au jardin, mais il se rappela la nuit de jadis, la fenêtre de l’office, le perron de derrière la maison, et il lui devint désagréable de se promener en ces lieux souillés par le souvenir criminel. Il s’assit sur le perron, et, aspirant le parfum violent des jeunes pousses de bouleaux, répandu dans l’air tiède de la nuit, il regarda longuement les sombres massifs du jardin, écouta le moulin, les rossignols, et le chant monotone d’un autre oiseau qui sifflait dans le buisson, près du perron même. À la fenêtre du gérant la lumière disparut ; à l’orient, derrière le hangar, une lune rouge montait ; des éclairs de chaleur, de plus en plus fréquents, illuminaient le jardin fleuri et la maison délabrée ; dans le lointain, le tonnerre gronda, et une masse sombre couvrit un tiers du ciel. Les rossignols et les autres oiseaux se turent. Parmi le bruit de l’eau du moulin, on entendait le cri des oies ; puis au village et dans la basse-cour du gérant, les coqs qui, par les nuits d’orage, chantent avant l’aube. Un proverbe dit que c’est signe de nuit joyeuse quand les coqs chantent de bonne heure. Et cette nuit était plus que joyeuse pour Nekhludov. Cette nuit était pour lui pleine de ravissements. Dans son imagination renaissaient les impressions de ce bienheureux été qu’il avait passé ici même, jeune,