Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol6.djvu/46

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chant la tête de côté, il aspira ses lèvres minces en les faisant presque claquer, leva les yeux et se tut avec l’intention évidente de se taire longtemps et d’écouter, sans contredire, toutes les bêtises que madame ne manquerait pas de lui dire.

C’était l’intendant, choisi parmi les dvorovoï. Rasé, en longue redingote (d’une coupe particulière, adoptée par les intendants), ce soir d’automne, il faisait son rapport devant la maîtresse. Selon les conceptions de madame, le rapport consistait à écouter les comptes rendus de ce qui s’était passé à l’exploitation, et à donner des ordres pour les affaires à venir. Selon les conceptions de l’intendant Égor Mikhaïlovitch, le rapport, c’était l’obligation d’être debout sur ses deux jambes, dans un coin, le visage tourné vers le divan, d’écouter un bavardage dépourvu de tout rapport avec les affaires, et, par divers moyens, d’amener madame à répondre bientôt avec impatience : « Bon, bon » à toutes les propositions de Égor Mikhaïlovitch. À présent, il s’agissait du recrutement. Du domaine Pokrovskoïe il fallait envoyer trois recrues. Deux étaient nettement désignées par le sort même, par la coïncidence des conditions familiales, morales et économiques. Sur ces deux recrues il ne pouvait y avoir d’hésitation ni de discussion soit de la part du mir[1],

  1. Assemblée des chefs de famille des paysans du village qui gère les affaires intérieures du village.