Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol7.djvu/313

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riot tout différent de ceux qui avaient passé jusqu’ici. C’était une charrette allemande attelée de deux chevaux et paraissant chargée d’une maison entière. Derrière la charrette que conduisait un Allemand était attachée une belle vache bigarrée aux pis énormes. Une femme tenant un nourrisson, une vieille Allemande et une forte fille rougeaude étaient assises dans la charrette, sur une couette. Les habitants du village avaient évidemment reçu la permission de passer. Les yeux de tous les soldats se tournaient vers les femmes et, pendant que le chariot avançait au pas, toutes les remarques des soldats se rapportaient exclusivement à elles. Le même sourire, né des idées scabreuses suggérées par ces femmes, était sur tous les visages.

— V’là cette saucisse qui s’en va aussi !

— Vends-moi ta mère ? — dit en marquant la dernière syllabe un autre soldat s’adressant à l’Allemand. Celui-ci, les yeux baissés, avec colère et effroi, marchait à grands pas.

— Eh ! comme elle s’est attifée ! En voilà des diables !

— Voilà, il te fallait loger chez eux, Fédotov.

— J’en ai vu, mon vieux !

— Où allez vous ? demanda un officier d’infanterie qui mangeait une pomme et, en souriant aussi, regardait la belle fille.

L’Allemand ferma les yeux en signe qu’il ne comprenait pas.