Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol7.djvu/337

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La nuit était sombre, étoilée. La route se profilait noire parmi la neige blanche tombée la veille de la bataille. En réfléchissant à la bataille passée, en s’imaginant l’impression qu’il produirait avec la nouvelle de la victoire, en se rappelant les adieux du commandant en chef et des camarades, le prince André roulait en charrette de poste ; il éprouvait les sentiments d’un homme qui a longtemps attendu mais a atteint enfin le commencement du bonheur tant désiré. Aussitôt qu’il fermait les yeux, les coups de fusil et de canon, qui se confondaient avec le bruit des roues et l’impression de la victoire, éclataient à ses oreilles.

Tantôt il se représentait les Russes en fuite, lui-même tué, mais bientôt il s’éveillait heureux, comme s’il reconnaissait pour la première fois que rien de cela n’était vrai et, qu’au contraire, les Français s’étaient enfuis. Il se rappelait de nouveau tous les détails de la victoire, son courage calme durant le combat, et tranquillisé, il s’endormait… Après une sombre nuit d’étoiles vint le matin clair et gai. La neige fondait au soleil, les chevaux galopaient rapidement ; et à droite et à gauche passaient de nouvelles forêts, des champs, des villages.

À l’un des relais il dépassa le fourgon des blessés russes. L’officier russe qui dirigeait le convoi, étendu sur le premier chariot, criait quelque chose