Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol7.djvu/369

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a transporté des extrémités de l’univers, nous allons lui faire éprouver le même sort (le sort de l’armée d’Ulm). » Il se rappelait ces paroles de la proclamation de Bonaparte à son armée avant le commencement de la campagne, et elles excitaient en lui de l’étonnement pour le génial héros, un sentiment d’orgueil blessé et l’espoir de la gloire. « Et s’il ne reste qu’à mourir ? pensa-t-il. » « Eh bien, s’il le faut, je mourrai aussi bien que les autres. »

Le prince André regardait avec dédain toutes ces longues files de chariots, les parcs d’artillerie et, de nouveau, les fourgons et les chariots de toutes sortes qui se mêlaient, se dépassaient l’un l’autre, et qui, trois ou quatre de front, barraient la route boueuse. De tous côtés, devant et derrière, jusqu’à la portée du son, on entendait le bruit des roues, du roulement des chariots et des affûts, le piétinement des chevaux, les coups de fouet, les cris et les injures des soldats, des brosseurs et des officiers. Le long de la route on voyait sans cesse des chevaux crevés, blessés, des chariots brisés près desquels, dans une attente quelconque, étaient assis des soldats isolés ; tantôt des soldats détachés de leurs compagnies se dirigeaient, en groupe, vers les villages voisins, ou traînaient à leur suite des poulets, des moutons, du foin, des sacs pleins de différentes choses. Aux descentes et aux montées la foule devenait plus épaisse, une clameur ininterrompue emplissait l’air. Les soldats, dans la