Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol7.djvu/390

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en poussant du doigt dans la poitrine celui qui était le dernier dans la section et lui ordonnant de lever la main. Les soldats, dispersés dans les alentours, traînaient du bois et des broussailles et construisaient des baraques en riant et en causant gaîment ; près des feux, quelques-uns, habillés ou tout nus réparaient leurs bottes et leurs capotes ou faisaient sécher leurs chemises et leurs caleçons. Ils se pressaient autour des marmites et des cuisiniers. Dans une compagnie le souper était prêt et les soldats suivaient d’un œil avide la marmite fumante et attendaient l’approbation de l’officier, assis sur une poutre, devant la tente, et à qui le soldat de service avait apporté le rata à goûter.

Dans une autre compagnie plus heureuse, car toutes n’avaient pas de l’eau-de-vie, les soldats étaient groupés en foule autour d’un sergent-major grêlé, aux larges épaules, qui, en penchant un petit tonneau, emplissait les bidons qu’on passait l’un après l’autre. Les soldats, avec des visages pieux, approchaient leurs lèvres des bidons, les penchaient, puis s’en rinçant la bouche et s’essuyant avec la manche de leurs capotes, avec un air joyeux s’éloignaient du sergent-major. Toutes les physionomies étaient calmes, comme si tout cela se fût passé non en vue de l’ennemi, avant la bataille où la moitié du détachement devait périr, mais quelque part en Russie, en attendant le repos. Après avoir traversé le régiment des chas-