Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol7.djvu/432

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

mation une fois établie ne faiblissait pas mais changeait de caractère. Les chevaux tués furent remplacés par ceux de l’affût de réserve, les blessés emportés et les quatre canons tournés contre la batterie des dix canons.

L’officier, camarade de Touchine, était tué au début de l’affaire, et en une heure, dix-sept des quarante servants étaient tués ; mais les artilleurs étaient toujours aussi gais et animés. Deux fois, ils remarquèrent qu’en bas, non loin d’eux, les Français se montraient et alors ils leur lancèrent des mitrailes.

Le petit officier aux mouvements indécis, gauches, s’adressait sans cesse à son brosseur : encore une pipe pour ça, disait-il, et en dispersant en l’air le feu de sa pipe il courait en avant, examinait les Français, de la main s’abritant les yeux.

Exterminez, enfants ! — criait-il, et lui-même saisissant le canon par les roues pointait les vis. Tout entouré de fumée, étourdi par les coups incessants qui chaque fois le faisaient tressaillir, Touchine, sans lâcher sa pipe, courait d’un canon à l’autre, tantôt visant, tantôt comptant les charges, tantôt donnant l’ordre de remplacer et d’atteler les chevaux tués ou blessés, et il criait de sa voix faible, aiguë, indécise. Son visage s’animait de plus en plus. Seulement, quand ses soldats étaient tués ou blessés, il fronçait les sourcils et, en se détournant de la victime, criait, irrité contre les soldats qui ne