Aller au contenu

Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol9.djvu/159

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dépit ; elle soupira profondément, puis plus souvent et sanglota.

— Pourquoi ? Qu’avez-vous ?

— Ah ! je suis si heureuse ! répondit-elle en souriant à travers ses larmes ; elle s’inclina vers lui, réfléchit une seconde comme si elle s’interrogeait et l’embrassa.

Le prince André tenait ses mains, la regardait dans les yeux et ne trouvait pas en son âme l’ancien amour pour elle. Tout d’un coup quelque chose se changeait en lui, il n’y avait plus le charme ancien, poétique, mystérieux du désir, mais la pitié pour sa faiblesse de femme et d’enfant, la peur devant sa tendresse et sa confiance, la conscience à la fois pénible et joyeuse du devoir qui le liait à elle pour toujours. Le sentiment actuel, bien qu’il ne fût pas si pur et si poétique que l’ancien, était plus profond et plus vif.

— Votre mère vous a-t-elle dit que ce ne peut être avant un an ? dit le prince André en continuant à la regarder dans les yeux. « Suis-je cette fillette enfant (comme tous disaient de moi) ? pensait Natacha ; est-ce moi qui suis à partir de ce moment la femme, l’égale de cet étranger charmant, intelligent, respecté même par mon père. Est-ce vrai que maintenant on ne peut déjà plus plaisanter avec la vie, que maintenant je suis une grande personne, que je suis responsable de cha-