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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol9.djvu/30

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c’était un sentiment de gêne, caché sous un sans-gêne affecté, une raillerie de soi-même, de sa situation et du personnage attendu. Quelques-uns marchaient pensivement de long en large ; d’autres riaient en chuchotant. Le prince André entendait le sobriquet de Sila Andréitch[1] et les paroles «l’oncle t’arrangera», qui se rapportaient au comte Araktchéiev. Un général (personnage très important), visiblement froissé d’attendre si longtemps, était assis, les jambes croisées, et souriait de lui-même avec mépris.

Mais, dès que la porte s’ouvrait, tous les visages exprimaient soudain un même sentiment : la peur. Le prince André demanda au fonctionnaire de service de l’annoncer une seconde fois ; mais avec un air railleur, le fonctionnaire lui répondit que son tour viendrait. Après quelques personnes introduites et reconduites par l’aide de camp du cabinet du ministre, on introduisit dans la porte redoutable un officier dont l’air humble et effrayé frappa le prince André. L’audience de cet officier dura longtemps. Tout à coup, on entendit derrière la porte le grondement d’une voix désagréable. L’officier, pâle, les lèvres tremblantes, sortit, et, en se tenant la tête, traversa le salon de réception. Ce fut le tour du prince André d’être amené près de la porte, et l’officier de service lui chuchota :

  1. Sila, en russe, signifie force.