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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol9.djvu/328

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Toujours charmante et mélancolique, cette chère Julie. Boris dit qu’il se repose l’âme dans votre maison. Il a eu tant de désillusions et il est si sensible ! disait-elle à la mère.

— Ah ! mon ami, comme je me suis attachée à Julie ces derniers temps, je ne puis te l’exprimer. Et qui pourrait ne pas l’aimer ? Ce n’est pas une créature de ce monde. Ah ! Boris, Boris ! disait-elle à son fils. Après un moment, elle ajoutait : Et comme je plains sa mère ! Aujourd’hui elle m’a montré les comptes et les lettres de Penza (elles ont là-bas un immense domaine) et la pauvre femme, seule, on la trompe tellement !

Boris souriait à peine en écoutant sa mère. Il souriait doucement de sa ruse simple, mais l’écoutait et parfois l’interrogeait minutieusement sur les domaines de Penza et de Nijni-Novgorod.

Julie attendait depuis longtemps la déclaration de son adorateur mélancolique et était prête à l’accepter ; mais un sentiment quelconque d’aversion pour elle, pour son désir passionné de se marier, pour son manque de naturel, et le sentiment d’effroi devant le renoncement à l’amour sincère, arrêtaient encore Boris. Son congé touchait à sa fin ; il passait ses journées entières chez les Karaguine, et, chaque jour, en se raisonnant, il se promettait de faire sa demande le lendemain ; mais en présence de Julie, en voyant son visage et son menton presque toujours couverts de poudre,